Emploi des personnes handicapées et modèle des entreprises adaptées : la contribution au débat de l’ANRH

L’Etat accorde des fonds publics pour soutenir des dispositifs qui facilitent l’accès à l’emploi des personnes handicapées. A ce titre, les Entreprises Adaptées bénéficient d’ « aides aux postes » au titre de la politique d’emploi.
La Cour des Compte évalue régulièrement l’efficacité de tous les financements publics. Elle a lancé en 2022 une étude sur les Entreprises Adaptées. Dans ce cadre, l’ANRH a partagé une contribution au débat, reprenant sa vision de l’enjeu (l’emploi des personnes handicapées), du modèle des Entreprises Adaptées, et de ses évolutions récentes (par exemple les « CDD Tremplin », que nous publions ci-dessous. 


EMPLOI DES PERSONNES HANDICAPEES : LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES ADAPTEES EST EN COURS


CONTRIBUTION DE L’ANRH


Au-delà du salaire et de la protection sociale, l’emploi revêt une portée identitaire et intégratrice, presque « existentielle » dans nos sociétés libérales et compétitives.
C’est pourquoi cet enjeu est encore plus crucial pour les personnes en situation de handicap. Car le handicap n’est pas qu’une expérience intime - physique, sensorielle ou psychique – mais aussi sociale, venant bien souvent ébranler notre rôle et questionner notre place, au sein de notre « société de la performance ». Aux vertus communes du travail s’ajoute donc un enjeu symbolique : travailler comme tout le monde, précisément parce que nous sommes comme tout le monde.
Pour répondre à cet enjeu de société, le législateur a édicté un principe exigeant. Un peu plus de 6% de la population active étant en situation de handicap, toute entreprise doit compter 6% de travailleurs handicapés dans ses effectifs. C’est la fameuse OETH (obligation d’emploi des travailleurs handicapés) et le premier mot – obligation - a un sens : il s’agit d’un mécanisme de quota obligatoire, avec déclarations et sanctions dissuasives.
Le peu d’effet relatif de ce mécanisme contraignant est révélateur des résistances structurelles auxquelles font face les personnes handicapées. Car le taux stagne à 3,5%, inchangé d’année en année. En 2022, ce sont ainsi près de 570 M€ que les entreprises vont à nouveau acquitter, sous forme de contribution à l’AGEFIPH, en conséquence de ce défaut d’emploi. Sans compter que ce taux de 3,5% est presque exclusivement pourvu par des déclarations en cours de carrière (maintiens en emploi) et non par des recrutements de personnes « avec leur handicap ».
Aussi, il faut bien reconnaître que la société dite inclusive n’est encore qu’un idéal – dont nous sommes d’ardents partisans – mais, à date, encore loin d’une réalité. A bas bruit, la mise à l’écart et les discriminations à l’emploi demeurent massives pour les personnes handicapées.



L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap

Loin de tout dogmatisme, notre position d’acteur de terrain nous conduit à poser trois constats :
          
      •     La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) comporte une extrême diversité de situations. Par exemple, un handicap moteur est peu comparable à des troubles psychiatriques. De même qu’un handicap léger ne peut être comparé à un handicap sévère. En sus, la dimension subjective influe fortement : un même type de handicap peut avoir des effets très différents. Aussi, nous soulignons l’irréductible spécificité de chaque situation, qui rend inopérant tout discours généralisant sur « l’emploi des personnes handicapées ». Toutes les personnes handicapées ne sont pas à égalité dans leur recherche d’emploi ; de fait, toutes n’appellent ni ne souhaitent le même type d’accompagnement, ni les mêmes trajectoires d’insertion. La seule réponse humaniste et réaliste à la diversité des situations, c’est un éventail de possibilités, que les personnes pourront convertir en choix de vie réels. Il demeure notamment indispensable de ménager des « filets de sécurité » pour les personnes handicapées présentant le plus de difficultés face à l’emploi.

       •      En lien avec la diversité de situations décrites ci-dessus, l’accompagnement d’un travailleur handicapé peut, dans certains cas, nécessiter des compétences spécifiques. Car les aménagements requis ne sont jamais « que » matériels mais aussi largement immatériels (savoir sécuriser, donner confiance à la personne, prendre en compte ses éventuelles restrictions sans non plus les cristalliser…) et nécessitent souvent une adaptation de l’organisation collective du travail, ainsi que des pratiques managériales. A l’ANRH, nous avons ainsi fait le choix d’organiser cette adaptation et d’investir de façon très importante sur l’accompagnement médico-psycho-social, avec un Pôle dédié composé notamment de psychologues et d’assistantes sociales, qui suivent nos collaborateurs handicapés et forment tous les encadrants afin que ceux-ci adaptent leur pratique managériale aux différentes situations. De fait, les enjeux sont complexes, et méritent d’aller au-delà des apparences. Un emploi en entreprise « classique » ne signifie pas forcément inclusion et épanouissement, si l’environnement et la ligne managériale ne sont pas adaptés ; tout comme un emploi en milieu adapté ne signifie en rien une mise à l’écart, comme le montrent par exemple les 40% de collaborateurs handicapés de l’ANRH qui travaillent sur site client, c’est-à-dire sous notre responsabilité et avec notre encadrement, aux côtés des équipes de nos entreprises clientes.

         •        La situation des personnes que nous accompagnons s’inscrit dans un environnement qui nous paraît bien plus « dur » qu’il y a quelques années. Outre le relâchement du lien social avec notamment un accroissement du célibat ou des familles monoparentales, les situations peuvent être très complexes avec des handicaps auxquels se juxtaposent souvent de grandes difficultés sociales et personnelles, dont parfois des addictions, qui nécessitent un suivi sur le long terme. A cela s’ajoute une hausse constatée des maladies chroniques invalidantes : aujourd’hui, en France, 15 millions de personnes sont concernées (selon le ministère de la Santé), soit une personne sur 5 et pour près de la moitié d’entre elles, la maladie survient alors qu’elle est encore dans la vie active. Enfin, la hausse massive des troubles psychiques est un sujet délicat à appréhender et auxquels nos entreprises adaptées sont quotidiennement confrontées. Nous constatons a minima l’impact thérapeutique du travail pour ces types de handicap, sous condition d’être en capacité de les intégrer dans une atmosphère bienveillante et de savoir prendre en compte les impacts de leur pathologie (absences, situations de crise lors des décompensations, etc.) pour les intégrer dans l’organisation du travail.



Réaffirmer une diversité de solutions

Ces constats nous conduisent à réaffirmer notre conviction : s’il faut, évidemment, faire beaucoup plus pour accroître très significativement l’accès à l’emploi des personnes handicapées, et tendre sans conteste vers une société plus accueillante, cela ne doit se faire qu’en conservant la diversité des solutions, qui répond à la diversité des situations. L’action publique française a en effet le mérite de proposer différents leviers : le soutien à l’emploi ordinaire via l’OETH et les règles de non-discrimination, mais aussi les solutions complémentaires que sont l’emploi accompagné, adapté et protégé, indispensables pour les plus fragiles d’entre nous.

Dans cette chaîne de solutions, nous défendons, notamment, le maillon essentiel que sont les entreprises adaptées. Les résultats en termes d’insertion et de réinsertion sont probants, pour une dépense publique très relative, puisque les entreprises adaptées se financent très largement grâce à leur activité commerciale (environ 2/3 de leurs produits). L’ANRH en est l’un des principaux acteurs, avec pour vocation l’insertion professionnelle des personnes handicapées « en situation de délaissement, de marginalisation ou d’exclusion sociale » - cf. l’article 1er de nos statuts associatifs.

Le modèle associatif présente la garantie d’une gestion entièrement pilotée par l’objet social, sans dividendes ni objectivation purement économique, et une implication totale des personnes travaillant dans ces structures pour participer du bien commun. Le cercle vertueux attendu de l’économie sociale et solidaire joue pleinement son rôle. Le développement économique de l’association est au service de sa mission sociale (la création d’emplois pour des personnes handicapées) et « l’entreprise adaptée associative » ressemble finalement étrangement au modèle recherché et rarement atteint par les nouvelles « entreprises à mission », qui ont tant de difficultés en réalité à trouver le bon équilibre entre mission économique et mission sociale…

Ce modèle est, on le sait, largement contrôlé par l’Etat, qui établit conjointement avec les entreprises adaptées leurs objectifs, dans une logique de co-construction via les DRIEETS (Directions régionales et interdépartementales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) et adapte son soutien annuellement en fonction des résultats obtenus en terme d’impact social : accompagnement des travailleurs handicapés, formation, qualité de vie et des conditions de travail, efforts dans la réinsertion professionnelle, bon usage des fonds investis, sorties positives…



L’entreprise adaptée, un rôle particulier au service de l’insertion professionnelle

L’entreprise adaptée a une vocation particulière, celle d’être à un point d’équilibre entre enjeux économiques et enjeux d’inclusion, avec une mission qui domine tout autre critère dans les processus de décision : l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Son rôle est en effet d’accompagner la personne handicapée, éventuellement sur toute une vie professionnelle et donc d’assumer des risques dont, par nature, on ne peut mesurer l’ampleur au moment où l’on recrute la personne concernée. Cela est particulièrement avéré pour une association comme l’ANRH qui, par principe, ne sélectionne pas les handicaps à l’entrée.

Durant la dernière mandature, la puissance publique a fait le choix de réaffirmer l’importance de notre secteur, tout en nous aidant à moderniser nos équipements et organisations, grâce à un fonds spécifique, « Le Fonds d’Aide à la Transformation des Entreprises Adaptées ». Il nous a également confié un rôle supplémentaire « d’entreprise tremplin », visant à accompagner des personnes handicapées dont le potentiel d’emploi en entreprise classique est jugé possible. Cette politique a durablement changé des associations comme l’ANRH, qui se sont interrogées sur leur modèle et ont démarré une longue transformation de leur fonctionnement, qui va accentuer leur impact social dans les années qui viennent.



L’impact des expérimentations récentes sur la transformation des entreprises adaptées : le cas de l’ANRH

L’ANRH est une association historique, créée en 1954, reconnue d’utilité publique en 1968 et œuvrant pour l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Elle gère 24 établissements, soit 19 entreprises adaptées (EA), 4 établissements et services d'aide par le travail (ESAT), 1 centre de formation (ESRP) et comprend aujourd’hui 1.850 talents dont 75% en situation de handicap. Cela en fait par exemple le 1er employeur de travailleurs handicapés en Ile-de-France. Son principe reste inchangé : pas de sélection de handicap, sa mission sociale prime et l’association doit adapter son accompagnement aux différents handicaps.

Pour les travailleurs handicapés exerçant au sein de l’ANRH, une adaptation du poste de travail est nécessaire, ainsi qu’un suivi personnalisé, des formations, une formation de leurs encadrants. Mais avant tout un accompagnement (social, médical, psychologique), grâce à une organisation spécifique composée d’une trentaine de professionnels. L’ensemble de ces dispositions font la différence : elles sont la condition sine qua non de l’épanouissement possible de nos collaborateurs, de leur capacité à se consacrer à leur activité professionnelle ou à leur formation dans un univers hétérogène (valides/non valides, forte variété de handicaps tant psychiques que cognitifs, physiques ou sensoriels).

L’ANRH, comme tout le secteur, a été « challengée » par l’Etat avec les expérimentations mises en œuvre, au sein de l’UNEA dont elle est membre du Conseil d’administration, mais aussi opérationnellement avec ses propres établissements impliqués dans le CDD Tremplin dès l’origine. L’ANRH a également beaucoup échangé avec le secteur de l’insertion et a pu observer sa capacité à accompagner de nombreux salariés sur un temps relativement court et ainsi à démultiplier son impact ; tout en constatant la difficulté exprimée parfois par ce secteur pour accompagner durablement des populations éloignées de l’emploi, ou accompagner tout court des personnes en situation de handicap. Sa longue expérience lui permet également d’analyser la place de l’entreprise adaptée dans le monde du travail et du handicap, pour aller du chômage à l’entreprise classique en passant, si nécessaire, par l’ESAT ou l’EA.

Notre constat est clair : nombre de travailleurs handicapés ne trouveraient pas leur place hors des entreprises adaptées, qui jouent leur rôle par l’accompagnement et la formation des personnes handicapées. En effet, beaucoup d’entre eux n’ont pas la capacité à « rebondir » vers l’entreprise classique, car ils ont besoin d’un accompagnement, une bienveillance, une acceptation d’une performance moindre qu’aucune entreprise, de la start-up aux grands groupes, n’est en capacité de proposer dans le contexte ultra-concurrentiel dans lequel nous vivons. Mais si le modèle est bon, nous devons nous interroger pour que plus de travailleurs handicapés puissent en bénéficier : on ne trouve en effet que 40 000 emplois dans le secteur de l’entreprise adaptée, face aux 500 000 travailleurs handicapés au chômage dont une bonne partie pourrait bénéficier de ce soutien. Or, force est de constater que nombre de travailleurs handicapés ont la capacité à être accompagnés pour ensuite rejoindre l’entreprise classique, même si ce modèle de « flux » n’était pas dans la culture traditionnelle des entreprises adaptées.... Mais outre l’accompagnement « classique » social et psychologique évoqué plus haut, qui reste nécessaire pour de nombreuses personnes, cela nécessite un investissement supplémentaire sur un véritable accompagnement d’insertion professionnelle, comme l’ANRH a pu l’expérimenter ces 3 dernières années avec son réseau de chargés d’insertion, en appui à la mise en place des CDD Tremplin, cet accompagnant étant déterminant pour faciliter les « sorties positives ».


Objectif : 15% de sorties positives

Il nous a paru important d’interroger directement nos collaborateurs en situation de handicap sur cette question de la sortie dite « positive ». Nous avons donc réalisé au 1er semestre 2022 une enquête sur la Qualité de vie et les conditions de travail auprès des 1.420 collaborateurs des 19 entreprises adaptées de l’ANRH, qui y ont massivement répondu. Il ressort de cette enquête un attachement fort à l’entreprise adaptée : les répondants expriment leur « fierté » de travailler à l’ANRH, et leur satisfaction d’exercer un travail qu’ils considèrent comme « utile ».

Dans le même temps, un tiers d’entre-eux exprime le souhait de quitter à terme l’ANRH et de rejoindre une entreprise classique ! En cela, cette enquête confirme une attente, souvent non exprimée car non interrogée, d’un accompagnement pour certains collaborateurs en entreprise adaptée, qui souhaitent évoluer à l’extérieur de celle-ci.

Notre objectif est donc de transformer l’ANRH, en s’inspirant du meilleur du secteur adapté (l’accompagnement des travailleurs sur la durée, par l’adaptation de leur poste de travail et leur soutien social et psychologique) et du meilleur du monde de l’insertion (la capacité à former et à réinsérer des travailleurs en entreprise classique, en s’appuyant notamment sur les filières des métiers en tension). Nous pouvons dire que la mission « socle » demeure indispensable – avec le « garde-fou » qu’est notre statut associatif - et que l’expérimentation répond à des situations complémentaires avec une grande pertinence, ce qui milite pour sa généralisation. Cela passe par un accompagnement, un investissement fort sur la formation aux métiers de demain, une connexion étroite aux besoins des territoires et des entreprises pour cibler des prestations pérennes, au cœur des chaînes de valeur. Avec un constat : certains travailleurs handicapés effectueront toute leur carrière professionnelle en entreprise adaptée, d’autres ne feront qu’y passer.

Le changement est déjà en route : l’ANRH, accompagnée par des cabinets spécialisés tel Accenture, intervenant en mécénat de compétences, et en concertation avec les acteurs économiques, a commencé à investir sur les métiers de la mobilité douce et de l’économie circulaire : réparation de matériels, métiers du numérique, de la santé, etc. Cette transformation devra permettre de faire croitre notre impact social : le nombre de travailleurs handicapés bénéficiant de notre accompagnement devrait augmenter, avec une cible de 15% de sorties positives au global dans un 1er temps pour seulement 1 à 2% aujourd’hui, comme le reste du secteur.



*

La sociologie du handicap a évolué, l’ANRH et les entreprises adaptées du secteur évoluent donc pour s’y adapter. Quelles que soient les évolutions tant politiques, économiques, éducatives à venir, il est fondamental que les acquis du secteur adapté soient préservés. Ils nous ont permis de démarrer un repositionnement salutaire : non plus sur des activités économiques « à la marge », faiblement génératrices de valeur ajoutée, mais au contraire sur des savoir-faire reconnus et porteurs, et nous permettant de développer des offres performantes et compétitives et de transformer les entreprises adaptées pour démultiplier leur impact social.

Notre secteur s’est collectivement engagé à être créateur d’emplois, nous réaffirmons cette ambition. La pleine place des personnes handicapées n’est pas à côté de la société, encore moins à sa marge, mais en son cœur.




Annie PEREZ-VIEU, Présidente de l'ANRH et David BOURGANEL, Directeur Génral de l'ANRH 

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